Maciek Rutkowski, l’interview

24/09/2025

Le 18 septembre dernier, Maciek Rutkowski réalisait la traversée de la mer Baltique entre la Suède et la Pologne, bouclant les 227,7 km en 8 heures et 28 minutes. Remis de ses émotions, il revient avec Windsurfjournal.com sur cette performance durant laquelle POL-23 est allé chercher loin dans ses ressources personnelles…

 

Windsurfjournal.com : Tu as décrit cette traversée comme un enfer dans lequel ton système nerveux s'est "arrêté" après une heure. Peux-tu nous en dire plus sur ce que tu as ressenti physiquement et mentalement pendant ces moments critiques ?
Maciek Rutkowski : Je dirais que physiquement, à partir du milieu de la traversée, la douleur était assez constante et je m'y attendais, donc cela ne m'a pas vraiment surpris. Je ne pouvais plus vraiment dépasser les 25-27 nœuds, j'étais complètement dépassé et mes jambes ne répondaient plus, mais tout cela était prévisible. Ce que je n'avais pas prévu, c'est la rapidité avec laquelle mes capacités cognitives allaient disparaître. Le foil est une question de concentration et de sensations, et ces deux éléments ont disparu après 2 heures de foil (4 heures de défi au total). Un bon exemple est lorsque j'avais du mal à me concentrer et que j'ai décidé de me gifler. Mais comme je n'avais pas mes sensations habituelles, je l'ai fait beaucoup trop fort, ma tête a basculé en arrière et je suis tombé ! J'ai en quelque sorte ri de ma propre stupidité, je me suis relevé, mais après 10 minutes, j'ai recommencé à m'effondrer. C'était super difficile, imaginez des vagues de 2 mètres venant de 3 directions avec une période de 3 secondes ! Impossible donc de vraiment se laisser porter. Et quand vous vous battez pour avancer et que vous voyez 17-19 nœuds sur le GPS, vous êtes doublement frustré parce que vous savez que plus vous allez vite, plus vite ce sera fini, mais vous n'y arrivez tout simplement pas. Ces 3-4 heures au milieu de la mer Baltique ont donc probablement été l'expérience de windsurf la plus difficile de ma vie.

 


WJ : Comment as-tu géré les moments où tu as perdu tes repères visuels et sensoriels, en particulier lorsque tu ne savais pas dans quelle direction aller ?
MR : J'ai tout essayé, mais rien n'y faisait ! Je n'arrêtais pas de penser que nous allions trop au vent ou trop sous le vent, mais c'était uniquement le vent qui tournait à chaque nuage de pluie que nous passions. La pluie n'aidait pas non plus, il n'a pas plu pendant peut-être 2 heures sur 8 au total ! Après avoir interrogé le bateau par radio environ 5 fois et m'être entendu dire que nous étions exactement sur la bonne route, j'ai arrêté de poser des questions. Mais moins il se passait de choses, plus il était difficile de se concentrer. Je n'ai pas vraiment géré ces moments, j'ai juste essayé de rester patient et d'attendre qu'ils passent et que quelque chose de positif se produise.

 

WJ : Les vagues venant de trois directions et les sept chutes ont dû être épuisantes. Quelle chute a été la plus difficile à surmonter, et comment as-tu trouvé la force de remonter sur ta planche ?
MR : En fait, j'ai apprécié mes premières chutes dans l'eau, car elles m'ont permis de me réveiller. Mais une fois, une rafale violente m'a fait chuter et mon équipement s'est envolé. Je me suis retrouvé avec le mât à l'envers, le fourreau rempli d'eau, et j'ai réalisé que j'étais au milieu de la Baltique, avec des vagues de 2 mètres qui déferlaient, et que cela pouvait être dangereux. Cela te donne un bon coup de pouce pour remonter sur la planche et continuer !

 


WJ : Tu as mentionné avoir pleuré lorsque tu as aperçu la côte. Peux-tu décrire l'émotion qui t’a submergé à ce moment précis après une telle épreuve ?
MR : Oui, c'est drôle. Au bout de deux heures, j'avais déjà hâte que cela se termine. Je regardais ma montre en espérant que le temps passe plus vite, mais ce n'était pas le cas, j'avais l'impression que les minutes s'écoulaient très lentement. On se sent comme un petit enfant abandonné dans un monde vaste et dangereux, sans ses parents ou quelque chose comme ça ! Alors quand j'ai vu la terre, j'ai vraiment été ému. C'était vraiment agréable de ressentir autre chose que de la douleur et de la frustration. C'était cette sensation chaleureuse d'être plus près de chez moi. J'ai donc commencé à pousser un peu, à 28-29 nœuds, rien d'extrême, mais au bout de 3 minutes, j'ai eu des crampes si fortes que j'ai dû ralentir à nouveau !

 

WJ : Comment t’es-tu préparé physiquement et mentalement pour affronter des conditions aussi extrêmes ?
MR : Rien ne peut te préparer à cela. J'ai fait du windsurf toute ma vie, j'ai modifié mon entraînement pour relever ce défi, je médite depuis plus de 10 ans. J'ai connu de nombreuses situations dangereuses, j'ai pratiqué le windsurf dans toutes sortes de conditions, j’ai fait du foil à Pozo, j’ai navigué sur une planche trop large à Jaws, mais là, c'est tout autre chose. Ce que j'ai vu là-bas, au milieu de la Baltique, ne peut être décrit avec des mots. Seuls moi et les 7 membres de mon équipage pouvons nous en souvenir !

 


WJ : Tu as croisé un phoque et des cargos pendant la traversée. Ces rencontres ont-elles eu un impact sur ta concentration ou ton moral ?
MR : Tout ce que tu rencontres est bon pour toi, cela te permet de te concentrer sur autre chose que la douleur et du fameux "quand cela va-t-il finir". À un moment donné, la visibilité était si mauvaise que les gars ont repéré 4 cargos sur le radar, mais nous n'en avons vu qu'un seul à l'œil nu et nous l'avons croisé à environ 500 m devant nous. Ce n'était donc pas la chose la plus responsable à faire au cas où je m'écraserais ou quelque chose comme ça, mais nous avons pris cette décision et nous nous y sommes tenus. Puis plus rien pendant des heures, puis le phoque, et encore rien pendant des heures. Le néant est le pire. Alors quand j'ai vu un chantier de construction d'énormes éoliennes, que je sais situées à environ 30 miles de la côte, j'étais ravi. J'avais essayé de convaincre l'entreprise qui les construit de sponsoriser ce défi, mais elle n'était pas intéressée. Je me suis dit "tant pis pour vous, bande d'enfoirés", et ça m'a fait passer 20 secondes de plus, donc ça aide !

 

WJ : Maintenant que tu as établi ce record, quels sont tes prochains objectifs en windsurf ou dans d'autres défis extrêmes ?
MR : Je participe au circuit PWA dans deux disciplines, j'organise l'un des plus grands festivals de sports nautiques au monde, le King of the Bay, et j'ai organisé cette Mission: Baltic. Je pense que c'est suffisant pour cette année, sauf que j'aimerais faire un voyage pour surfer après le Japon. Mais je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, j'ai beaucoup d'idées et chaque projet donne aux personnes avec lesquelles nous travaillons davantage confiance en notre capacité à offrir quelque chose d'amusant, digne d'intérêt pour les médias et donc précieux. J'ai donc bon espoir que les projets prendront de plus en plus d'ampleur. Mais ces 1 h 50 minutes au début de la traversée pendant lesquelles je suis resté immobile, sans rien prévoir, à côté de la Suède, à perdre mon temps, me donnent aussi le sentiment d'avoir une affaire inachevée avec la mer Baltique. Alors, qui sait ? Il ne faut jamais dire jamais !

 

Source : Maciek Rutkowski
Photos : Krzysiek Jedrzejak - Baltic Surf Scapes

tags: Maciek Rutkowski Mission: Baltic

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