Lucie Hervoche, survivor

16/02/2016

Jeune femme pétillante que nous avons eu la chance de croiser lors de la Saint-Barth Fun Cup fin janvier, Lucie Hervoche fait doucement mais sûrement ses classes sur les scènes slalom nationale et internationale. Pleine de vie à bientôt 20 ans, F-42 a pourtant vécu une expérience traumatisante voilà 2 ans, une expérience qu’elle a décidé de repartager tous les ans, pour ne pas oublier et pour sensibiliser aussi sur le fait que notre terrain de jeu favori, l’océan, peut parfois devenir un véritable cauchemar…

 

"Il y a deux ans presque jour pour jour, j'ai vécu une des expériences les plus traumatisantes de ma vie... Je me suis vue finir ma vie dans cet océan qui bien qu'il soit notre terrain de jeu favori peut aussi vite devenir un vrai cauchemar...
Je n'oublierai jamais ce jour, ce qu'il m'a apporté, ce qu'il m'apporte encore aujourd'hui et les efforts qu'il me demande à chaque sortie pour mettre ce mauvais souvenir de côté jour après jours. L'appréhension ne partira jamais réellement je pense, mais j'essaye d'en faire une force !
Faites attention à vous, sur l'eau, à terre, le danger est bien présent, n'oubliez pas que nous ne sommes rien face aux éléments, mais continuez à vous faire plaisir, à profiter de chaque session qui vous est donnée !!! J'avais écrit cet article mais ne l'avais jamais rendu public, alors pour ceux qui veulent lire le récit de cet accident, le voici…

 

Beaucoup et en même temps peu de gens le savent... Ceux qui le savent ne comprennent pas pourquoi je n'arrive pas à passer au-dessus, ceux qui ne le savent pas ne comprennent pas certaines de mes attitudes.
Vous avez déjà ressenti la mort vous prendre au cou ? Vous vous êtes déjà dit que vous alliez mourir pour de bon une fois dans votre vie ? Avez-vous déjà regardé la mort droit dans les yeux ? Et puis finalement lui dire d'aller se faire voir ?
J'ai longuement hésité avant de faire cet article mais j'en ai besoin, j'ai besoin que les gens sachent ce que c'est, que les gens comprennent aussi...
Il y a 2 ans, lors d'un entrainement, j'ai vécu ce que je ne souhaite à personne de vivre.
Les conditions étaient particulièrement étranges ce jour-là... Après plusieurs tempêtes et en en attendant une autre nous sortons en RS:X. Les conditions de vent, quand nous partons sur l'eau, ne sont pas si fortes, mais la mer est très formée... Les vagues déferlent partout dans la baie, devant le club, c'est de la folie... Puis le vent est monté !
Vite à la rue dans ce genre de conditions, je me suis vite retrouvée à la traîne par rapport aux autres. Quand j'ai enfin rejoint le groupe, nous étions bien en dehors de la baie, je m'étais déjà fait peur la veille en sortant de la baie et là je n'étais vraiment pas rassurée... Le coach arrive vers moi en zodiac et me dit : "Allez on retourne dans la baie". Il ne m'a pas fallu longtemps pour abattre et retourner vers la baie. Je fais quelques mètres en bâbord, le coach ne me suit plus, j'entame mon jibe et la... Une vague qui déferle vient me taper le pied avant, ça me fait sortir le pied du strap et m'éjecte en arrière, ma voile se couche sur l'eau et le matos commence à dériver poussé par le vent et la houle... Je commence à nager derrière mais je comprends vite... Je comprends que je ne le rattraperais pas !
Je commence alors à regarder autour mais personne... Ils étaient déjà tous rendu dans la baie ! A ce moment-là je pense aux vagues qui peuvent me déferler dessus à tout moment, je n'ai pas de gilet de sauvetage et je suis seule en dehors de la baie... J'ai peur, très peur, je me mets à crier, il faut que quelqu'un m'entende...
Vu que je dérive vers l'estuaire, je me dirige un peu vers la bouée verte de chenal, mon objectif : aller m'accrocher à cette bouée pour que quelqu'un puisse me voir et que je puisse me reposer dessus.
C'est peine perdue, plus je me rapproche, plus je me rends compte que, de une la bouée est immense et que je n'arriverai jamais à monter dessus, et de deux que de toute façon je me décale trop par rapport à la bouée...
Là je me dis que je vais mourir, je hurle tout ce que je peux pour que quelqu'un m'entende.
J'entends le bruit d'un moteur, je vois le zodiac, le coach me cherche, je hurle encore plus fort, je ne peux pas rester-là, je ne peux pas, je n’ai pas le droit, faut que je fasse tout ce que je peux pour me sortir de ça !
Il change de trajectoire, "je vais mourir"...
Je réentends le moteur, 50 mètres au-dessus de moi, pleine balle, le coach... Il continue de me chercher... je suis sous le vent, je ne crie pas ça ne sert à rien il ne va pas m'entendre... C'est définitif je vais finir ma vie ici dans quelques minutes, peux être quelques heures... Ça peut paraître stupide mais à une dizaine de jours de mes 18 ans, j'ai cru que je ne les aurai jamais... Je pense à mes parents aussi, je les vois inquiets, tristes, tous les scénarios me passent par la tête...
Je ne lâche pas, tant que j'ai de la force et surtout de l'esprit je nage, le plus possible vers la baie pour rentrer un maximum et ne pas dériver dans l'estuaire ! Je continue de crier, les conditions sont tellement tempêtesques qu'un hélico tourne, je lui fais des signes, vaille que vaille, je veux sauver ma peau...
Je crie toujours et encore, je veux qu'on m'entende, que quelqu'un dans cette baie m'entende, par moment je reprends mon calme, j'arrive à temporiser puis la peur reprend le dessus et alors je me remets à hurler... A un certain moment je me dis que si je continue à crier comme ça et que je dois le faire encore longtemps il faut que je trouve un autre moyen... J'ai un sifflet à mon harnais mais trop compliqué à attraper, j'ai appris depuis peu à siffler avec les doigts, je le fais alors pendant un certain temps... Je continue de nager, de crier, de reprendre mon calme, d'avoir peur...
En entrainement dans la baie le même week-end que nous : les 49er !
Quand je nage je me rends compte que depuis un certain temps ils sont dans une même zone, zone vers laquelle je nage, vers laquelle je dérive. C'est mon seul espoir, je me fixe pour objectif de nager vers eux, je nage, je nage, je continue de crier aussi, si ils ne me voient pas ils m'entendront, ils sont sous le vent.
Je les vois se diriger vers moi, puis réabattre, je me dis que ce n'est pas possible, qu'ils ne peuvent pas me faire ça, pas si près... Je hurle mes dernières forces vocales, puis je les vois revenir vers moi, un bras qui se lève et me fait signe... C'est fini, ils m'ont vu, je suis sauvée... Je nage encore vers eux, je ne veux plus rester là dans cette eau, je veux me sentir à l'abri...
Ca y est, je suis sur leur bateau, tétanisée, traumatisée, agrippée à je ne sais trop quoi, en boule au fond du bateau, impossible de bouger... Leur coach arrive au bateau et je vois bien dans son regard de l'incompréhension, de la surprise, "mais qu'est-ce qu'elle fait la ?". Je pense qu'il avait vu mon matos qui dérivait donc savait plus ou moins ce qu'il se passait. Mon coach est arrivé, il voulait prévenir l'autre coach de ce qu'il se passait mais j'étais là, saine et sauve... J'ai vu son soulagement, il m'a fait monter dans son zod’ et on est retournés chercher le matos...
Là j'ai regardé l'heure, je savais à peu près à quelle heure j'étais tombée, je pensais avoir nagé une bonne heure mais en fait : 20 minutes. Les 20 minutes les plus longues de ma vie...
Je suis dans le bateau complètement traumatisée, je sanglote, je pleure, je rigole, je n'arrive pas à contrôler toutes les émotions qui passent... Le coach me rassure, me dit que ça va, que je suis vivantes, mais je suis dans un état second, je ne me souviens plus bien de ce qu'on s'est dit, de ces moments de retour à la vie...
Il m'a fait remonter sur ma planche, et c'est sans doute la meilleure chose de la terre qu'il pouvait faire. J'ai fait un immense bord bâbord, escorté par tout le monde, personne ne me lâche d'une semelle...
Le coach me ramène en zodiac jusqu'au bord, au club et la me serre fort dans ses bras, je comprends qu'il a eu très peur, peut être aussi peur que moi...
De retour à terre, toujours aussi traumatisée, certaines personnes sont déjà au courant, on vient me voir, me consoler... Je pense à mes deux sauveurs, sans qui je ne serais peut-être plus là à l'heure actuelle...
Cette histoire qu'y m'est arrivée est déjà sûrement arrivée à bon nombre de personnes... Beaucoup de gens ont déjà eu à nager derrière leur matos mais chaque situation est différente et certains vont sûrement trouver excessif cette réaction que j'ai eu, mais croyez-moi quand vous sentez que la mort n'est pas loin vous le savez...
Pensez ce que vous voulez de mon histoire, je sais ce que j'ai vécu, je sais les séquelles qui m'ont été laissées par cet événement.
En tout cas une chose est sûre, on ne sort pas indemne de ce genre d'accident. On prend conscience de la vie, de sa fragilité, à quel point elle est précieuse... Le traumatisme est toujours là, j'ai souvent peur quand les conditions se musclent, je perds mes moyens, je panique...
Si j'écris cet article c'est pour que certains comprennent certaines de mes réactions dans certaines situations et aussi pour demander aux gens qu'ils arrêtent de se plaindre pour un oui ou pour un non, parce qu'on en vie merde ! Alors profitez-en tant que vous en avez-une et une vraie. Demain il sera peut-être trop tard..."

 

Pour en savoir plus sur Lucie Hervoche : www.unerideuse.blogspot.fr

 

Source : Lucie Hervoche
Photos : J.Lacave/Saint-Barth Fun Cup 2016 - JR Photographie

tags: récit Lucie Hervoche

Articles similaires

Un vent de fraîcheur sur l'AFF !

A l’instar de la récente élection présidentielle, c’est un vent...

De nouveaux visages en terre bretonne

En l’absence des têtes de série habituelles, en Corée du Sud pour la...

Vidéo : Lucie Hervoche en action

Toujours dans la joie et la bonne humeur (sans oublier l’éternel sourire !),...
comments powered by Disqus
Gestion de vos données sur le site Windsurfjournal
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies ou autres traceurs pour vous proposer par exemple, des publicités ciblées adaptées à vos centres d’intérêts ou encore réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus fermer