Le matos est-il vraiment trop cher ?

06/01/2016

L’article de nos confrères du Télégramme avec pour titre : "Planche à voile : la suicidaire flambée des prix" publié le lundi 4 janvier a suscité de nombreuses réactions sur le web, le dossier touchant du doigt il est vrai un sujet on ne peut plus sensible et d’actualité. Mais parce que certaines vérités sont toujours bonnes à rétablir, nous nous sommes intéressés également au tableau croisé réalisé par Thierry Penichon, responsable du magasin Hotmer à Martigues dans le Sud de la France, lui qui depuis 2010 s’est penché de très près sur la question et qui a épluché pas loin de 4 décennies de marché du windsurf ! Interview…

 

Windsurfjournal.com : Pour ceux qui ne te connaissent pas encore pourrais-tu te présenter brièvement et nous donner ton ressenti après la parution de cet article dans Le Télégramme ?
Thierry Penichon : J’ai 49 ans, je régate depuis 1974 en dériveur, en habitable puis en planche. J’ai été moniteur de voile pendant 25 ans et je m’occupe du magasin Hotmer à Martigues depuis 2003. J’ai vu le matos et ses tarifs évoluer au fur et à mesure des années, de la planche à dérive plate en passant par la Division 2 jusqu’au funboard actuel. Concernant cet article du Télégramme, j’ai trouvé intéressant que l’on parle du prix du matériel de façon différente parce qu’en règle générale, quand les gens parlent du tarif du matos, cela finit souvent par : "Tout le monde se gave !". Et en fait, quand on est de l’autre côté, côté magasin, on se dit : "OK, tout le monde mais c'est qui tout le monde" ? Quand on voit que les prix sont de plus en plus élevés, que les marges de plus en plus tendues et que tout le monde a de plus en plus de mal à s'en sortir, personnellement, j’attribue plus ça à un problème de marché qu’à un "tout le monde qui s’en met plein les poches"… Là, l’article essayait d’analyser la chose de manière intéressante. Après, je ne suis pas d’accord avec tout mais ça a le mérite d’être dit.

 

WJ : Depuis 2010, tu tiens un tableau croisé de l’évolution des prix de ces 30 à 40 dernières années, en windsurf mais aussi sur les biens de consommation courante, comment t’es venu cette idée ?
TP : En 2010, le prix du matériel commençait à augmenter et j’ai pris le parti de faire un historique afin de voir tout ce qu’il se passait tous les 10 ans pour avoir un point de repère précis dans le temps. J’ai le prix du matériel depuis toujours, j’ai gardé des pubs de l’époque et des factures. Le matériel choisi dans ce tableau est celui sur lequel j’ai pu retrouver des prix réels. Il y avait certainement à l’époque du matériel moins cher ou plus cher mais pour celui cité, je suis sûr des tarifs. Il y a 5 ans, j’avais le sentiment que le prix du matériel s'enflammait, je le voyais augmenter tous les ans mais j’avais pourtant l’impression qu’il était moins cher qu’avant … Une Copello Red Line, cela coûtait 10 000 francs en 1995, ça fait 1600 €. Avec 1800 € aujourd’hui, on a une planche neuve. C’est presque au même tarif, 20 ans après. La qualité mise dans les matériaux a augmenté, avant il n’y avait pas de bois, une planche avec du carbone, c’était juste 2 traits de carbone sur toute la longueur du flotteur. Les tarifs sur les lieux de production en Asie ont augmenté aussi mais il ne faut pas oublier qu’une Lechner L3 ou une planche Open de ce type-là, ça valait 15 000 francs quand on était minot, l’équivalent de 6 SMIC à l'époque ! Cela représente 2400 € d’aujourd’hui et pour ce prix, on a une Starboard iSonic en 2016. Dans les grandes années, je me souviens que 20 ou 30 personnes s’entraînaient sur l’eau régulièrement avec ce type de planche juste sur Martigues … La différence, c’est qu’à l’époque, les pratiquants qui faisaient de la compétition en windsurf ne faisaient que du windsurf, c’est-à-dire qu’ils investissaient tout là-dedans. En gros, à côté, il n’y avait pas de ski, pas de VTT, ni surf, ni kite, et souvent les gens ne faisaient qu’un seul sport. Plus étonnant encore, du matos à 15 000 francs dans les années 80, on ne trouvait pas ça si cher puisqu'on qu’on venait souvent du dériveur et que quand tu revendais ton bateau 35 000 francs d'occasion, tu achetais ta D2 et il te restait même encore 20 000 francs pour faire la fête ! Le monde de la voile reste très cher, j’ai des copains qui régatent en habitable quand ils regardent le prix de mon matos, ils sont morts de rire. Un winch sur un gros bateau, c’est le prix d’une planche en carbone et il y en a 4 à bord. Malgré ça, le sentiment qui domine est que nous avons de plus en plus de mal à payer le matos. C’est pour cette raison que j’ai fait ce tableau pour essayer de comprendre pourquoi. 

 

WJ : En résumé et à la lecture de ce tableau sur l’évolution du prix du matos, nous avons donc le sentiment que la matériel est plus cher mais qu’en fait il ne l’est pas et, qu’en quelque sorte, le budget global a été fractionné avec plus de dépenses…
TP : C’est ça ! J’ai calculé qu'une fois payé ma connexion Internet, l’abonnement télé au câble ou au satellite ainsi que les téléphones portables pour toute la famille, le tout était équivalent au montant du crédit que j’avais pour ma moto neuve à une certaine époque ! Attention, le tableau ne dit pas que le matériel n’a pas augmenté, les tarifs montent mais certainement pas dans les mêmes mesures que d’autres produits du quotidien et le coût de la vie en général. Par rapport à l’époque où le matériel était encore produit en France jusqu’en 1982/1984, c’est même moins cher aujourd’hui. Ensuite le matos a baissé et depuis quelques années, les prix augmentent régulièrement. Dans 4 ans, on aura une idée plus précise sur le sujet car les choses se lissent au fil des ans, une année ça augmente fort, l'année suivante un peu moins... On aura alors une vision plus réelle de l’évolution des prix, il faut au moins 10 ans pour voir les choses dans leur ensemble. Au final, lorsque l’on regarde les postes pris par l’alimentation, le loyer, etc, il nous reste de moins en moins d’argent pour investir dans les loisirs et se faire plaisir. Le nombre de besoins a augmenté et les salaires n'ont pas suivi le coût de la vie !

 

WJ : Travaillant dans un magasin et donc au contact régulier des pratiquants, quelle est ton analyse de la situation et pourquoi existe-t-il ce sentiment récurrent que le matos est trop cher ?
TP : J’ai un exemple bien précis, chez Starboard, il y a 3 gammes de construction, carbone, bois et Technora. Quand je rentre les 3 modèles en début d’année, la carbone part assez rapidement, la bois se vend peu de temps après et la Technora, je la solde en fin d’année alors qu'elle est terrible. Tout le monde veut le carbone au prix de la Technora. Le windsurf est quand même le seul sport dans lequel les gens naviguent avec le même matériel que ceux qui font la coupe du monde. En auto, tu ne roules pas, même pour ton plaisir, avec le même modèle que Sébastien Loeb ! Et paradoxalement, c’est parce que l’on n’est pas dans un sport cher que l’on peut se permettre de naviguer avec du matériel "coupe du monde". J’ai un copain qui court en moto sur le plan régional, son budget "consommable" annuel à savoir huile, pneus et essence est plus cher que mon quiver de windsurf. Là-dedans, il n’a pas acheté la moto ! Idem pour le jet-ski ! En windsurf, nous avons tous envie de naviguer avec la dernière iSonic, de se faire plaisir avec le dernier matos de course à la mode mais juste en dessous, il y a des gammes de produits qui vont très bien et l’iSonic si tu n'as pas les moyens de la prendre en carbone, tu la choisi en bois, c’est déjà un peu moins cher et, si tu ne cours pas, tu te fais tout autant plaisir … Un autre exemple, la dernière fois, je discutais avec un client qui me disait qu’il était "un peu serré" ce mois-ci pour acheter du matos car il venait de s’acheter un écran TV à 3000 €. Quand je l’ai interpellé sur un tel montant pour regarder simplement la télé le soir, il m’a dit : "Non, non, c’est pour les jeux vidéo !". Son centre d’intérêt, ce sont les jeux vidéo et pour lui le windsurf c'est secondaire. Au final, chacun met son argent là où est son centre d’intérêt principal. Tu ne trouves pas ça cher quand tu vois des gars qui mettent 10 000 € dans un vélo ? Montre un mât en carbone à quelqu’un qui ne navigue pas et tu lui dis : "Tu vois le tuyau noir là, il coûte 1000 € !", le gars rigole comme quand on me dit qu’un tube de selle de vélo ça coûte 150 €… Certains clients trouvent que le matos est hyper cher et, dans leur boulot, ils vendent des produits qui coûtent 3 fois le prix de celui que l’on trouve dans le commerce... C’est juste une question de point de vue ! Il n’en reste pas moins que c’est compliqué. Le marché du windsurf n’est pas florissant, si ça explosait et que tout le monde changeait de matos plus souvent, il serait sans doute un peu moins cher… Mais d’un autre côté, tant que le matos est cher, c’est difficile d’en changer aussi ! Je ne suis pas économiste, sur ce tableau, il n’y a que des constatations, je laisse l'analyse à ceux dont c'est le métier. La solution n'est pas évidente.

 

Source : Thierry Penichon/Hotmer
Photos : Thierry Penichon

tags: enquête business matos Thierry Penichon

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