L\'oeil d\'Antoine Martin

08/04/2013

Le 5 avril dernier, le jeune guadeloupéen Antoine Martin découvrait pour la toute première fois la vague de Jaws sur l’île de Maui, une session exceptionnelle qui aurait pu, malgré tout, tourner au cauchemar après une chute mémorable dont les images ont fait le tour du web durant tout le week-end passé. Avec F-193, retour sur cette expérience unique et cette longue séance de natation !

 

"Vendredi 5 avril, un jour qui devait être comme tous les autres à Hawaii, tu checkes le spot, tu vois du monde et tu vas naviguer comme d’habitude… Mais là le programme était différent, et pour cause, je suis avec Vincent Beauvarlet dit "El cascador" et, grâce à lui, nous avons eu cette fameuse session à Jaws.
Depuis le petit déjeuner, n’ayant qu’unechose en tête, mon ami Vincent veut aller a tout pris à Jaws au moins pour voir les conditions. Du coup on charge le pick up et let’s go ! Les autres riders nous demandent où nous allons, à quoi nous répondons : "Nous allons checker Jaws mais pour sûr on revient dans la foulée à Hookipa."
Enfin sur le spot, on se cale sur la falaise pour regarder ce que ça donne en pensant qu’il y aurait tous les locaux de ce spot qu’on avait rencontré pendant notre premier repérage quelques jours plus tôt. Et là vision, avec une taille de mât et demi établie, personne sur le spot !!! A n’y rien comprendre !!! Notre situation n’est pas la plus adéquate, pas de jet ski, ni bateau, les planches pas du tout adaptées, planche de série pour moi et Vincent un modèle ultra léger pour les petits airs en Guadeloupe… Nous décidons de descendre la falaise pour aller voir l’état de la mise à l’eau et les possibilités ou pas.
Nous arrivons en bas et nous restons assis une vingtaine de minutes puis brutalement une accalmie relative qui pourrait permettre un passage à la nage avec le matériel, car faut savoir qu’au bord il n’y a pas du tout de vent.  Et là Vincent me crie : "Titoun c’est la chance de notre vie ! Faut y aller ! De toute façon t’as pas le choix." A ce moment-là, j’ai compris qu’il y allait vraiment et je ne pouvais pas laisser mon pote seul là-dedans. Ce qui revient à dire, vas-y saute dans cette marmite pleine de roches énormes et glissantes ! Je vous passe la descente de la falaise sur les fesses avec tout le matériel, la préparation et tout. Nous arrivons en bas, Boujmaa Guilloul et Dany Bruch sont passés par un autre sentier et sont déjà en train de gréer, Marcilio Browne part à fond la caisse d’un bateau vers le pic, tout ça me rassure en fait, nous n’étions pas les seuls ! L’excitation monte et me voici devant les vagues debout avec le matos sur la tête, Camille Juban arrive et mort de rire nous informe des séries qui arrivent, Boujmaa Guilloul et Dany Bruch vont sur la pointe où les roches sont énormes mais la distance à nager est plus courte qu’au niveau de la rivière, mais je le sens mieux ici car je peux me replier plus facilement en cas de série. Rapidement une accalmie, je me retourne Vincent est juste à côté de moi je lui crie : "C’est bon, j’y vais", persuadé qu’il me suivrait. Et je cours dans les rochers, saute dans l’eau et nage tout ce que je peux pour m’éloigner du point d’impact du shore break. Ça y est sauvé ! Je me retourne et Vincent est encore sur le bord, il a préféré attendre de peur de s’emmêler le matos dans le shore break avec moi.  J’espère qu’il pourra passer à son tour. Je nage pour atteindre la zone de vent, la première risée approche et je pars à fond la caisse, vent fort et side off le long du bowl, je croise Browne déjà sur une vague,  "ça y est c’est Jaws mon gars faut que tu assures". Le deal de départ avec Vincent était 3 vagues si on passe le shore break, et puis descente jusqu’à Hookipa. Je vais prendre 10 à 15 minutes d’observation au pic ainsi que quelques petites séries, histoire de mesurer la vitesse des vagues et leurs formes. Vincent passe également et me rejoint.
On commence à tourner sur quelques vagues, tous les riders commencent à être en place et on tourne chacun son tour. Boujmaa Guilloul m’avait déjà briefé sur les principes de base de survie à Jaws, lorsqu’il me voit, il me réexplique calmement et gentiment, ce qui me met en confiance. Les premières descentes de vagues me mettent en euphorie totale, je n’ai jamais atteint des vitesses pareilles en surf et lorsque tu sors des vagues, tu planes totalement. Ce sont des sensations uniques mêlées de stress, de concentration et d’adrénaline, mais aussi de joie de partager ça avec tous les amis riders, on sent vraiment que tout le groupe à l’eau est lié et chacun est là pour l’autre.
Au bout dune ’heure de surf, on commençait a sérieusement à rentrer dans l’inside, Vincent part même en aerial dans le bowl ! On prend même une vague à 3 ce qui est un peu chaud. Je remonte au pic et j’interpelle Vincent en lui disant : "Hey man on est trop chaud, faut qu’on se calme ", il me dit oui c’est vrai on va le prendre plus cool. Un des plus gros sets se lève alors, je vire sans me poser de question et me retrouve seul sur ce monstre, c’est la mienne je me lance. Je croise Boujmaa qui me crie "Go go go go go", ce qui veut dire, ne reste pas là, accélère vite. J’ai vu la vague tendre plus que d’habitude et j’étais conscient que j’avais 50% de chance de passer, je suis lancé, j’y vais. Mais conscient que ma planche de série peut décrocher à n’importe quel moment, je suis obligé de partir droit devant pour engager un vrai bottom car en down the line à Jaws, les vitesses sont vraiment supérieures à tout et j’ai peur d’une catapulte en wipe out ce qui n’est même pas imaginable dans cette vague.
Arrivé en bas, je me rends compte que je n’ai lancé pas assez rapidement, gros problème de timing, je suis en bas piégé au pied d’un immeuble, ma vitesse diminue irrémédiablement et j’entends les fracas de la lèvre derrière moi se rapprochant, un dernier coup d’œil à l’avalanche qui va m’engloutir, je vois le bowl qui me revient sur la tête, j’ai décidé de tenir debout le plus loin possible pour éviter l’impact fatal. Dans une dernière pensée, il ne me restait qu’une chose à faire, il ne fallait penser à plus rien et me concentrer pour résister et limiter ma consommation d’oxygène, car je ne sais pas pour combien de temps je vais rester coincé là-dessous.  Inimaginable la force avec laquelle je me suis fait secouer dans tous les sens à tel point de ne plus savoir où tu es, tête en bas ou pas, à quelle profondeur ? Aucune idée. Ça a été long. Il m’a fallu attendre que ça se calme, pour ressentir que la flottaison de mon gilet commence à me remonter vers la surface. J’ai ouvert les yeux et c’était comme dans toutes les descriptions des habitués de ce spot, tout noir, vraiment totalement dans le noir. J’ai nagé vers la surface, je pense au moins 4 à 5 mètres pour remonter à la surface. Je reprends mon souffle et seulement 4 ou 5 secondes, 2 ou 3 inspirations et la 2ème vague est déjà sur moi, je me fais secouer avec la même force que l’autre, je me sens bien pour le moment, je vois un jet ski arrivé, il me tend la main un peu comme dans un rêve, elle passe mais la 3ème vague est déjà là, je dois reprendre mon souffle et repartir pour un tour. J’avoue que cette 3ème vague, avec la fatigue, et bien qu’elle soit plus petite, a été la plus dure ! J’ai souffert dans celle-ci  à bout de souffle. Je ressors et là le jet ski m’arrache de la mousse, je me cramponne aux poignées. Mon ami Francisco Porcella, le pilote du jet ski concentré sur son pilotage pour fuir la zone me lâche tout de même un : "It’s OK ?" et là trop content d’en être sorti, je suis parti dans une excitation et une euphorie totales. Je vois le matériel explosé sur les rochers, donc pas le choix que de replonger pour rejoindre le bord et les amis qui m’attendent.  Je sais maintenant ce que c’est qu’une gamelle à Jaws et je ne souhaite à personne de vivre ça. J’ai également pris conscience qu’il faut sérieusement se préparer pour rider Jaws, nous avons été chanceux dans notre inconscience.
Grand merci à tous le staff sur le bateau de Keith Baxter, évidement mon sauveur Francisco Porcella, l’équipe brésilienne et Marcilio Browne, Vincent Beauvarlet pour m’avoir motivé, Boujmaa Guilloul pour tous ses conseils depuis le début et aux photographes pour avoir immortalisé ce moment."

 

Pour en savoir plus sur Antoine Martin : titounf193.wix.com/windsurfing

 

Source : Antoine Martin
Photos : Théo Reynal - Camellia Menard - Jimmie Hepp Photography

tags: oeil de Antoine Martin Jaws Hawaii

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