À 19 ans seulement, le Français Brendan Lorho se fait remarquer lors du Lüderitz Speed Challenge en Namibie et entre dans le cercle des concurrents à plus de 50 nœuds pour sa première participation à cette épreuve. Pour Windsurfjournal.com, il revient sur cette expérience inédite et riche d’enseignements…
Windsurfjournal.com : Dans quel état d'esprit es-tu arrivé en Namibie pour ta première participation au Lüderitz Speed Challenge sachant que ton gabarit n'est pas vraiment taillé pour la vitesse au départ ?
Brendan Lorho : Quand tu fais de la vitesse, Lüderitz c’est le rêve, La Mecque… Un peu comme Hawaii est le rêve de tout waverider. Cela faisait un moment qu’on parlait avec Raffaello Gardelli, l’organisateur de cet évènement, et l’idée a grandi et grandi. Et puis voilà, on a sauté dans l’avion et c’est parti. Au début, c’était avant tout partir en trip de fin de saison avec mon père. On en a profité pour aller sur Cape Town, visiter, et prendre la route 1200 km vers la Namibie, paysage magnifique et sauvage. Oui, je savais que mon gabarit n’était pas dans les cordes pour aller vite, mais bon, c’était l’expérience d’une vie, une première pour finir cette belle saison de slalom en aileron et en foil. Voilà l’optique initiale du trip.
WJ : Comment se sont déroulés les premiers runs et la découverte du canal ?
BL : On est arrivés début novembre et le canal était en cours de remplissage. C’est un canal fait à la main, et une fois creusé, ils le remplissent avec la marée et 4 à 5 pompes qui tournent plein tube. Cela prend de 3 à 4 jours à 1 semaine suivant la hauteur des marées. Le premier jour où tu découvres le canal, tu doutes, tu te dis, ce n’est pas possible, je ne passe pas, je ne tourne pas, je ne freine pas, c’est trop court, et ci et ça… Tu as des millions de doutes dans ta tête, car tu n’as jamais vu ça. Et au fur et à mesure des jours, des semaines, il devient ton jardin personnel, tu connais tous les centimètres, les molles, les rafales, la profondeur, le sable, les drapeaux… Tu t’es approprié chaque recoin de ce fabuleux canal, la machine à record. Les premiers jours, j’ai enquillé beaucoup de runs, le concept, c'est de devenir familier avec le canal. Et rien de mieux que de le faire dans les bonnes conditions de vent comme dans les pires avec des molles et pas assez de vent. Il ne faut pas oublier que le run est tellement abattu que tu as besoin d’un vent très fort pour pouvoir le descendre en 5.0 m² par exemple. Les premiers jours, j’étais beaucoup en 6.0 ou 5.4 car le vent n’était pas établi avec 25 à 35 nœuds. Mais bon, c’était nécessaire pour se le mettre visuellement dans la tête, et physiquement dans les jambes. Ce canal est bien plus technique que tout le monde ne se l’imagine. Le départ est critique, car tout s’enchaîne après le virage slingshot dans lequel on prend plus de 20 nœuds d’accélération, et après le rush jusqu’à l’arrivée, sans oublier le freinage assez critique en laydown virgule ou 360 couché, tout cela dans un canal plus ou moins clapoteux suivant l’orientation du vent.
WJ : T'étais-tu fixé comme objectif d'atteindre les 50 nœuds et quel a été ton sentiment lorsque que tu y es parvenu ?
BL : Non, le but initial, c'était déjà de battre mon temps de La Palme dans le sud de la France, 44,10 nœuds au 500 mètres. Je visais davantage des chronos comme ceux de Ben Proffitt ou Niels Bach qui ont le même gabarit, c’est-à-dire dans les 47/48 nœuds. Le 26 novembre a été la première belle journée ventée, je fais dans les 48 nœuds. Et du coup, en blaguant le soir, le rêve des 50 nœuds est arrivé. Il y avait une belle ambiance entre moi et Simon Pettifer, le compagnon de Jenna Gibson, qui venait aussi en Namibie pour faire plus de 50 nœuds et on s’est bien motivés. Et tous m’ont poussé à aller plus haut. Le 27 novembre fut aussi une très belle journée, et je m’approche de la barrière des 50 nœuds avec un meilleur run à 49,86 nœuds sur l’AV Boards 40 de production. Le rêve se rapprochait. Les jours suivants, nous avons bossé sur le matos à fond, les réglages et surtout le passage sur la AV 38 Custom. Le 1er décembre, le créneau du vent est bon, on envoie tout. Cela commence fort avec mon premier run de la journée à 47,78 vers 11h30. On le sent que c’est le bon jour. 1h plus tard à 12h24 le vent est là, et bang 50,17, mon premier run au-dessus de 50, le run est super clean. On revient sur la remorque, tout le monde qui te félicite, ce sont des moments magiques. Je fais d’autres runs à 48, 49, et ça va vite s’enchainer. À 13h29 Antoine Albeau fait son record, Karo van Tonder bat son record 2 min plus tard, et le run d’après (soit 3 min après) c’est bon pour moi aussi avec ce run magique à 50,62 nœuds. Parfois ça se joue à pas grand-chose… La vitesse, c'est aussi avoir la chance d’être là au bon moment.
WJ : Tu réalises un record durant cette épreuve, celui du nombre de runs, 189 au total, 60 de plus qu'Antoine Albeau. Quel était l'objectif derrière ce chiffre impressionnant ?
BL : Et encore, j’ai été forcé de me calmer ! Pete Davis, le responsable de la WSSRC, le mari de Zara Davis, l’ancienne championne de vitesse, m’a été d’un énorme support avec son expérience du canal et m’a calmé sur le nombre de runs, sinon j’en aurai facilement réalisé plus de 200 ! Mais il m’a appris à plutôt construire l’expérience sur la qualité du run, plutôt que la quantité. Les derniers jours, nous cherchions donc le créneau magique plutôt que d’enquiller 20/25 runs par jour. Mais bon, physiquement, j’étais bien après une belle saison donc je n’ai pas tellement ressenti la fatigue sur le canal. Le plus pénible, à vrai dire, c’est en fin de journée le poids extra dans le gilet qui te martyrise le dos, donc dès que tu peux, tu poses le gilet de poids. 12 kg pour moi maximum, c’est déjà beaucoup. Antoine Albeau est d’un autre niveau, la quantité de tests de matériel qu’il a fait est ahurissante. C’est là où on voit la motivation qu’il a à aller chercher ce record. Tu apprends beaucoup en le regardant travailler, changer ses ailerons, ses planches, ses mâts, ses voiles, c’est impressionnant. Gunnar Asmussen était aussi très fort sur ces runs. Björn Dunkerbeck reste la légende, mais bon, après ses opérations des hanches, ça devait être plus compliqué pour lui physiquement. C’était quand même sympa d’être à leurs côtés et d’apprendre de ces légendes du monde du winsurf. Björn Dunkerbeck est un sportif hors norme. Petite anecdote, à la fin je finis devant lui, car il a dû rentrer chez lui après le 27 novembre. Et le soir où il a vu que j’étais devant lui, il m’a envoyé un message WhatsApp personnel pour me féliciter pour ma performance, immense de sa part et définitivement l’attitude d’un très grand sportif.
WJ : Quels enseignements tires-tu de cette épreuve du Lüderitz Speed Challenge ?
BL : Tout d’abord, bravo a Raffaello Gardelli, il nous a fait un canal de folie cette année. Pas évident vu la localisation, les ressources locales et toutes les complications, mais il s’est battu et il a réussi. Bravo à son équipe aussi, Manfred Fuchs pour les caméras et les GPS et l’équipe locale. La leçon principale : c’est la préparation. Ce n’est pas ton spot de vitesse habituel. Ce n’est ni La Palme, ni aucun des spots hollandais, Lüderitz si tu n’as pas le matériel qui va pour cette configuration, tu ne marcheras pas aussi fort. J’ai appris tellement sur le réglage du matériel pendant ces quelques semaines, mais cela reste spécifique à Lüderitz à cause de l’angle du canal. Un trip hors du commun, des paysages de folie, la nourriture locale, le biltong la nourriture favorite là-bas.
WJ : Quelles sont les prochaines étapes ? Penses-tu que les 52/53 nœuds sont à portée de main ?
BL : Tout d’abord, retour à la fac, j’ai un peu de retard bien que j’ai pu faire 2 examens à distance pendant le trip de Lüderitz. Puis, on préparera l’entraînement hivernal avec le TWS Tenerife. Après il y a le Prince of Speed en mai, cela devrait être encore une belle épreuve et voilà côté vitesse. 52, 53 nœuds, ça fait rêver. J’ai fait 52,96 en Vmax sur mon meilleur run donc, forcément, tu te dis si j’arrivai à pousser sur 500 m, c’est faisable. Mais bon une fois que tu arrives au-dessus de 50 nœuds, chaque nœud supplémentaire est difficile à gagner. Je vais continuer à travailler sur la préparation physique et on verra si j’arrive à envoyer plus fort. C’est clair que ces bons résultats en vitesse me motivent pour donner encore plus, et aller encore plus vite. Les épreuves de vitesse vont clairement avoir une importance plus prioritaire sur mon calendrier course en 2025. Un dernier mot pour dire un grand merci à Raffaello pour cet évènement, puis à Hervé Bastide, l’homme derrière BAM Distribution - AV Boards, il m’a apporté un énorme support sur le matériel utilisé à Lüderitz, Phil Carbon pour les ailerons Chopper Fins Asymétrique V3 qu’il m’a fourni pour ce trip, Nicolas de Lisawindsurfing pour les bouts spécifiques en longueur pour le canal, Julien de la Waveschool pour m’avoir poussé sur le chemin des compétitions, Marco MLSports, l’équipe du service des sports de la Mairie de La Tranche-sur-Mer, Giannis et Sascha Lange pour la préparation et Roger de R-Tech Solution. Merci à tous pour votre soutien, tous vos petits mots sur les réseaux sociaux et vos encouragements à distance…
Source : Brendan Lorho
Photos : @113photosport