Anthony Rigaut, l\'interview

31/05/2013

Le week-end dernier, c’est un drôle de challenge que se lançait Anthony Rigaut en s’élançant dans une véritable course contre le temps, l’objectif étant de rester 30 heures sur sa planche sur le lac de Puythouck à la base de voile de Grande-Synthe dans le Nord afin de faire notamment la promotion de la prochaine étape des NeilPryde Racing Series dans la région fin juin… 33 heures plus tard finalement, il réussissait son pari malgré des conditions météo difficiles. Interview !

Windsurfjournal.com : Pourquoi ce projet un peu fou de naviguer pendant 30 heures ?
Anthony Rigaut : Les gens qui me connaissent savent mon engagement en tant que conseiller technique, directeur de course, entraineur, organisateur d’événements…et fervent défenseur du windsurf… Là, c’était pour attirer l’œil des médias et des partenaires de proximité… Il fallait trouver une idée originale qui soit relayée avec un format nouveau, « défier le temps », ouvert à tous. Aujourd’hui, la crise touche tout le monde et il est très difficile de boucler les budgets de fonctionnement et d’événements. Alors, la crise de la quarantaine m’a amené à défier le temps pendant 30 heures afin de faire parler du windsurf en proximité pour lever des fonds pour les générations futures et éclairer notre discipline.

WJ : Quelles ont été les bonnes et les moins bonnes surprises de ce challenge, ce à quoi tu t'attendais, ce à quoi tu ne t'attendais pas ?
AR : Les bonnes surprises sont l’engagement et le soutien des coureurs, des bénévoles et des partenaires durant ce défi qui leur est dédié. Il y a aussi le plaisir et le bonheur d’avoir pu offrir une satisfaction collective à travers cet exploit individuel avec une grosse décharge émotionnelle lors du finish. Les moins bonnes sont le pessimisme de certaines personnes qui œuvrent dans le milieu mais qui ne croyaient pas au défi alors que nous avons les mêmes problématiques… Moralité, dans la vie comme dans le sport, soit tu agis, soit tu subis… Pour ma part, j’ai choisi d’agir. Et que cela marche ou non, dans tous les cas il faut essayer pour ne pas avoir de regret.

WJ : 33 heures sur l'eau, ce n'est pas rien, quels sont les principaux soucis physiques auxquels tu as du faire face ?
AR : 45minutes après le départ, pluie de grêles… Onglet à ne plus pouvoir tenir le wishbone… Heureusement, on m’a amené un café chaud pour me réchauffer. A ce moment-là, tu te dis que cela va être compliqué surtout que le froid est annoncé dans la durée. Les grêles sont tombées quatre fois, affronter le froid a été un combat permanent. Sinon, la position statique m’a surtout sollicitée le dos et les genoux sur l’ensemble du défi. Puis, le 2^èmejour, les rafales de vent entre 8 et 18noeuds et les bascules de 90° ont rendu l’utilisation du harnais caduque, donc navigation aux bras pour pouvoir contrôler et surtout ne pas tomber. Aussi surprenant soit-il, je ne sentais plus mes bras. Ma montre est devenue un garrot tellement les bras ont gonflé et pourtant j’avais de la marge sur mon bracelet. Et à la sortie de l’eau, je ne pouvais plus marcher car les genoux et les plantes de pieds fragilisées m’empêchaient d’avancer.

WJ : Tu avais droit à de courtes pauses, comment les as-tu gérées ?
AR : J’avais droit à 15 minutes toutes les 2 heures avec la possibilité de cumuler les temps de repos. Le premier jour, j’ai fait deux arrêts rapides de 30 minutes pour manger chaud (pates au poulet et un peu de crème) le midi et le soir car la température était de 4°. Lors de ces 2 arrêts, j’ai perdu énormément de temps pour me déshabiller pour aller aux WC. En effet, le midi, j’étais en shorty, puis salopette, puis chaussettes et bottes, puis lycra puis coupe-vent et bonnet… Et au dîner, j’ai ajouté une surveste avec col polaire, des gants, un gilet de sauvetage et le shorty est devenu une intégrale 3/2 mm et les bottes se sont transformées en bottillons par sécurité. Globalement, je me suis peu arrêté pour pouvoir cumuler du temps et m’autoriser une sieste chronométrée de 30 minutes de 4h30 à 5h avec la sensation que le corps se dégonfle, profitant de basculer en intégrale 5/4 mm Puis, un dernier arrêt vers 8h du matin pour le petit déjeuner… Le reste du temps, j’avais embarqué un sachet Auchan accroché au wishbone pour m’alimenter en navigation en eau, barres de céréales, bananes et pain bagnat Nutella.

WJ : Quels enseignements tires-tu de cette expérience ?
AR : Que nous sommes très petits face à la nature, un tel défi est lié à tellement de petites choses que le projet peut vite prendre l’eau. Mais je souhaite montrer que lorsque tu souhaites quelque chose, il faut en vouloir pour réussir. Rien ne te tombe pas les bras, rien n’est jamais facile… Si ce défi est déclencheur de motivation pour un gamin ou une personne ou un partenaire, cela suffit à ma réussite et à mon bonheur. "Le bonheur c’est lorsque vos actes sont en accord avec vos paroles" méditait Gandhi

WJ : Si c'était à refaire, que garderais-tu, que changerais-tu ?
AR : Si c’était à refaire, je le ferai en dimension XXL encadrée par kiné, médecin, nutritionniste, etc… afin d’optimiser la performance et d’aller jusqu’au bout de moi-même dans le "no limit". Sur ce défi, la météo n’a pas été favorable (4° et vent 8/18 nœuds et instable en direction). Je modifierais les combinaisons pour les équiper de fermetures éclairs. Je garderais mon téléphone qui a été une perfusion permanente de motivation. Et je garderai en souvenir l’aventure humaine de ce défi où chacun à sa manière m’a aidé à le construire.

Photos : Michel Verstraet