Le vent, et les conditions météo de manière plus générale, seront le 49ème participant sur les épreuves olympiques à Marseille dès la semaine prochaine, aux côtés des 24 femmes et 24 hommes engagés en iQFOil. Météorologue attitré de la FFVoile, David Lanier nous livre les secrets de ce plan d’eau très particulier et unique au monde à la fois !
Windsurfjournal.com : 1ère question très candide, comment devient-on météorologue pour la FFVoile ?
David Lanier : Je ne suis pas météorologue de formation… J’étais en Équipe de France de Voile Olympique en 470 sur la préparation olympique de Barcelone en 1992. J’ai également fait la préparation olympique d’Atlanta après. En parallèle de ça, j’ai fait des études de mathématiques à Grenoble. J’ai toujours aimé le côté scientifique, la compréhension d’un plan d’eau, la météo et, petit à petit, je me suis formé dans ce domaine-là. Quand je suis devenu entraîneur, j’ai plus accès mes interventions sur le plan d’eau et la météo avec mes athlètes en Normandie. De fil en aiguille, l’information est arrivée aux oreilles de la FFVoile et j’ai intégré l’Équipe de France pour tous les aspects météo à partir de 2008. Et j’ai enchaîné les olympiades depuis, Londres en 2012, Rio en 2016, Tokyo en 2020, etc…
WJ : Quelles sont les particularités du site de Marseille avec son relief, ses 2 vents dominants, etc… ?
DL : En effet, c’est un plan d’eau entouré de relief avec les îles du Frioul vers l’ouest, pas très hautes, mais suffisamment pour perturber le vent. Il y a aussi du relief plus au sud vers Marseilleveyre et les Goudes ainsi que la ville de Marseille elle-même. Donc l’ouverture maximale à la mer n’est pas très grande et le vent est franchement perturbé par ses effets de relief. Et il y a les effets thermiques d’été en plus avec une terre très chaude en été qui peut monter à 35/40° et la mer qui reste à 25/27°. C’est un contraste thermique que le vent n’aime pas en général. Le vent bien buter sur ce 40° à terre, en marge du plan d’eau et sur une bande de 500 mètres, où il y a certains ronds olympiques, le vent ne sera pas simple à gérer. Entre la chaleur et son relief, la particularité du site de Marseille est qu’il n’est pas homogène en tous points de la rade. Il y a des variations d’intensité, de direction et, à un même endroit, le vent n’est plus le même 10 minutes plus tard. Il y a 4 grandes zones pour les courses dans les différentes séries olympiques et chaque zone a aussi ses spécificités ! Il y a beaucoup d’éléments qui font que c’est un plan d’eau qui varie beaucoup. D’où la nécessité pour les athlètes de beaucoup y naviguer et de repérer les coins difficiles. Le fait de naviguer partout sur la rade permet d’avoir une compréhension générale de ce qu’il se passe et amener des billes pour la suite… Il y un effet incertain, mais c’est tout le travail de l’athlète et de ses reconnaissances en amont, car c’est sa lecture du plan d’eau qui fera la différence. Et puis ce n’est pas si plat que ça, c’est souvent agité. Il peut y avoir du clapot lié aux plaisanciers qui passent au large, il y a un peu de courant entre le Frioul et le continent. Quand il y a du Mistral, le vent s’oriente souvent à l’ouest en milieu d’après-midi et ça génère du clapot et de la houle. Et tout ça vient tamponner sur le relief, sur la marina… Tous ces éléments font que le plan d’eau, c’est aussi de la conduite, ce n’est pas que jouer avec le vent.
WJ : En somme, avec ton expérience des précédentes olympiades et des précédents sites de compétition, comme le caractériserais-tu ?
DL : Il est joli, très agréable et lumineux. Il y fait chaud, c’est quelque chose que j’apprécie personnellement. Il a un côté Rio… J’ai fait les Jeux Olympiques de Rio en 2016, il y a la chaleur, le relief. J’aime beaucoup le côté "caillouteux" de la roche, type calanque. Et finalement, on est très vite en mer. Et puis il y a le côté îles avoisinantes… En soi, il est unique aussi ! Je ne vois pas d’autres baies similaires. Nous nous sommes souvent posés la question de nous entraîner ailleurs pour que cela ressemble à Marseille et on n’a pas trouvé. Il y a en fait 3 grands secteurs de vent, le sud-est, les brises thermiques de sud/sud-ouest et le Mistral, à peu près répartis en quantité égale en nombre de journées. Et il n’y a pas de plan d’eau qui ressemble à ça.
WJ : Sans jouer les voyants pour autant, quel est le scénario météo le plus probable pour la période des Jeux Olympiques à Marseille ?
DL : Il y a toujours du vent ! Il y a peu de chance que l’on ait une journée sans vent, car, à tout moment de la journée, il y a toujours un peu d’air. Même s’il n’y a rien le matin, en patientant ça se lève souvent vers 16h/17h. En termes d’intensité, c’est entre 5 et 20 nœuds, c’est ce que ça nous donne sur les statistiques. C’est ce que nous avons vécu sur les 2 étés précédents, avec une exception au mois d’août l’été dernier et 4 jours de fort Mistral avec 30 à 35 nœuds, voire 40 pendant la période des Jeux avec 15 à 18° seulement. C’était assez exceptionnel… Mais comme quoi, on peut avoir aussi des phénomènes rares. Il y a des statistiques, ce que l’on a rencontré, mais il y a toujours une part d’imprévue. Il ne faut pas se dire qu’il n’y aura pas 40 nœuds.
WJ : Quel va être au quotidien au moment des Jeux Olympiques ?
DL : Mon job au matin d’une journée de compétition olympique, c’est de faire une prévision en précisant la force, la direction, à quel moment il y a des rotations, en fonction des zones de course et en fonction de l’heure. Le but est de dire aux coachs comme aux athlètes dans quel cas météo on va se retrouver. En amont de tout ça, nous avons catégorisé les journées de navigation, nous avons défini des situations type météo, entre 8 et 9. Dans la prévision, mon job, c'est de leur dire : "Aujourd’hui vous serez dans le cas n°3". Et à chaque cas, il y a un comportement à avoir, un type de réglage et un type de stratégie à adopter. C'est autant de cas que nous aurons vécu en amont lors de stages ou lors du Test Event… Toutes les séries olympiques de l’Équipe de France ont la même information, le coach et son athlète vont ensuite aller piocher ce qui les intéresse. En iQFOil ou en kite, ils vont plus aller chercher l’intensité et les variations d’intensité. Les séries plus lentes comme le Laser regardent ce qui est le courant, les Nacra ou les 470 vont être intéressées par des informations concernant la direction du vent, car le bord des près est long. Le bulletin tombe généralement vers 8h et tout le monde pioche dedans. Là-dessus va se rajouter un briefing s’ils ont besoin, mais une fois sur l’eau, je ne peux plus intervenir. Je regarde ensuite de mon côté si ce que j’avais prévu se cale avec la prévision et nous avons un débriefing le soir, surtout avec les entraîneurs.
WJ : Pourrait-on dire que tu es le 2ème coach en quelque sorte ?
DL : Je ne sais pas… Mais ce qui est certain, c’est qu’il faut jouer avec le vent. L’athlète en iQFOil qui remportera les Jeux sera celui ou celle qui aura le mieux lu le plan d’eau. Sur le bulletin du matin, je peux leur mettre parfois : "Attention, journée de Mistral, sur la partie droite du parcours, il peut y avoir un couloir de vent avec un peu plus d’intensité" et je mets entre parenthèses "À vérifier". Je suis sur un mode d’alerte et de conseil et le coach va vérifier ces informations et les transmettre ou pas à l’athlète, s’il juge que c’est pertinent. L’objectif est que le coach comme l’athlète soient totalement autonomes une fois sur l’eau. Ce n’est pas du routage comme sur la Route du Rhum où le gars fait marcher et là, tu lui dis : "Va à gauche ou vas à droite". La voile olympique, c’est un profil encore assez jeune, entre 18 et 30 ans. Ils sont encore dans l’apprentissage de tout ce qui scientifique et météo. Certains ont de bonnes connaissances, pour d’autres ça fait un peu peur… Il ne faut pas leur faire peur avec trop de scientifique et trop d’information, cela enlève le côté instinctif. Il faut trouver un équilibre.
WJ : On se doute qu’après 4 olympiades, ton métier a logiquement évolué avec de nouveaux outils, il y a également l’Intelligence Artificielle dont on parle beaucoup en ce moment…
DL : Mon métier a surtout évolué par l’évolution des supports olympiques eux-mêmes. Avant les bords de près étaient beaucoup plus longs, les formats de course ont évolué, les parcours sont devenus plus petits et j’ai logiquement adapté mes informations et mes bulletins météo. Le foil est tout nouveau, avant cette olympiade, il n’y avait que des supports archimédiens, et il y a le kite qui nous oblige à aller chercher le vent un peu plus en altitude. Donc oui, j’ai évolué par rapport à l’évolution de la voile olympique. Les outils ont évolué en termes de qualité de prévision, on a plus de puissance informatique qu’en 2008 par exemple et des modélisations de prévisions plus précises. Nous avons plus de fiabilité générale, mais avec de l’Intelligence Artificielle ou pas, il y aura toujours le côté incertain, le truc que nous n’avions pas prévu, qui existe et qui existera tout le temps ! Et c’est le job ensuite du coach et de l’athlète de s’adapter…
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Source : David Lanier
Photos : FFVoile/Sailing Energy - World Sailing